Romain Daudet-Jahan & Emilie Dubois
Résidents de l’Atelier Long-métrage 2022-2023
Bonjour Romain et Emilie, merci beaucoup d’avoir accepté cet entretien avec La Scénaristerie. Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots ?
Romain - Après des études de cinéma à Nantes et Paris, j’ai réalisé plusieurs films dont deux courts-métrages de genre, Les Champs Magnétiques et Colonie (coécrit avec Marion Desseigne Ravel), tous deux sélectionnés dans des festivals en France et à l’international. J’ai deux projets de long-métrage, tous deux coécrits avec Emilie : Kyma, finaliste de l’appel à projets Parasomnia, produit par Moana Films, et Le Basculement, en écriture à l’atelier long-métrage de la Scénaristerie. Tous mes projets ont en commun d’invoquer le genre et plus spécifiquement la science-fiction afin de raconter des personnages confrontés à des situations qui les dépassent.
Emilie - J’ai découvert le cinéma grâce aux vieux westerns que je voyais enfant avec mon père, et ado par les films d’horreur que je regardais en cachette. J’ai obtenu un diplôme d’ingénieur, dans une autre vie. À la sortie de Louis Lumière, je me suis orientée vers la production. J’ai produit une quarantaine de courts métrages et j’ai rejoint tout récemment Insolence productions, où je suis productrice associée, chargée des développements. Je maltraite donc les auteurs à coups de réécritures, tout en sachant ce que ça fait d’être de l’autre côté de la barrière ! L’envie d’écrire est venue progressivement à force d’accompagner les auteurs dans les affres de l’écriture, et j’ai franchi le pas il y a quelques années avec un premier scénario de long, un film d’horreur.
Vous écrivez plusieurs projets ensemble, comment a débuté votre collaboration ?
Nous nous sommes rencontrés à l’Atelier scénario de la Fémis, dans le groupe de Nadine Lamari. Le premier jour, au bout de cinq minutes, nous avons échangé un regard : « Tu écris du genre ? Moi aussi ! ». C’était un coup de foudre amical mais aussi professionnel, puisque nous avons commencé à co-écrire quelques mois après, sur le projet de Romain, Kyma.
Aujourd’hui, nous développons donc un nouveau long métrage, Le Basculement, et avons quelques idées pour le troisième, mais c’est un peu trop tôt pour en parler. Ça fera peur, du moins, on l’espère !
Nous travaillons de la façon suivante : nous échangeons beaucoup, nous nous
voyons régulièrement en réunion. Nous n’écrivons qu’au dernier moment, quand beaucoup de choses sont déjà assez claires dans nos têtes, et surtout nous n’écrivons qu’après avoir statué ensemble sur les directions à faire prendre à l’histoire. Nous sommes des laborieux et procédons par étapes, avec plusieurs versions de synopsis court, fil-à-fil, séquenciers (nous n’écrivons des traitements que si on nous le demande, ce n’est pas notre format de prédilection) et enfin continuité dialoguée.
C’est bien plus facile et infiniment plus agréable d’écrire cette dernière quand tout a été balisé auparavant. On peut enfin se laisser aller au plaisir d’incarner les personnages dans leurs dialogues et leur faire vivre les aventures qu’on a prévu pour eux.
Romain, tu as également co-écrit un court-métrage, Colonie, avec Marion Desseigne-Ravel, qu'est-ce que tu vas chercher dans une co-écriture ?
J’aime travailler à deux, échanger, faire des ping-pongs d’idées, se raconter des choses à voix haute pour voir ce qui fonctionne ou non. Je sais que j’ai des points forts et des points faibles dans l’écriture, la co-écriture permet de travailler en complémentarité. Par exemple, je sais que j’ai des facilités à envisager un projet sous sa forme globale, inventer des arguments, des high-concepts, avoir des désirs de film très vite très forts. J’aime faire de longues recherches, me renseigner sur les sujets que je souhaite explorer, accumuler des informations. Mais entrer dans le spécifique, dans le concret de l’écriture, est une étape moins évidente pour moi. Ça me demande plus d’efforts, c’est plus fastidieux. C’est là où être deux est super. Surtout quand ça se passe de façon bienveillante, dans le sérieux et l’humour, et dans l’enthousiasme.
Qu'est-ce qui fait selon vous un bon binôme scénariste-réalisateur ?
Romain - Au début d’une collaboration, de mon point de vue, c’est pouvoir travailler avec quelqu’un qui comprend le désir de film, l’univers du réalisateur, son élan, ce qu’il veut raconter, et qui vient apporter de la méthode, de la structure, des propositions pour emmener ce film le plus loin possible. Ensuite, quand la relation de travail est bien établie, comme c’est notre cas avec Emilie, c’est imaginer ensemble ce qu’on veut raconter, ce qui nous passionne, ce qu’on voudrait voir au cinéma.
Emilie - La complémentarité. Romain est réalisateur avant tout et fonctionne par envie de scènes qui prendront aussi leur sens sur le grand écran grâce à l’image et au son. À nous deux de raconter l’histoire qui va avec. J’aime fouiller les personnages, les mettre face à leurs contradictions et des dilemmes cornéliens. Ce qui me marque le plus au cinéma, ce sont les émotions que j’ai ressenties, et c’est quelque chose que je partage avec Romain. J’ai le sentiment qu’on doit déjà pouvoir ressentir ces émotions à la lecture d’un script.
Romain, tu es auteur-réalisateur. De ton côté Emilie tu es également productrice chez Insolence Production en plus de ton activité de scénariste, comment vivez-vous cette double casquette ?
Cela nécessite un peu d’organisation afin de jongler avec nos emplois du temps respectifs. On se retrouve une ou deux fois par semaine pour bosser à deux, ensuite Romain avance seul, et on modifie ensemble. Dès qu’on peut, on s’organise des résidences d’écriture intensive où nous écrivons à quatre mains. Dans la semaine on se retrouve aussi pour aller voir des films, et surtout… on boit l’apéro après chaque session.
Emilie, tu te positionnes uniquement comme scénariste pour le moment, est-ce que tu envisages un jour de passer derrière la caméra ?
Emilie - Oui, j’ai un projet de long-métrage que je souhaite réaliser.
Vous êtes tous les deux amateurs de fantastique, quel est votre rapport au
genre ? Pourquoi avoir choisi ce biais pour exprimer votre point de vue et
votre sensibilité ?
Romain - C’est la science-fiction plus que le fantastique qui me passionne. Mon goût pour ce genre s’est forgé grâce au cinéma, à la BD, la littérature, et à la rencontre avec de grands scientifiques qui m’ont beaucoup marqué, comme André Brahic, astrophysicien et grand passeur de science. Je crois que le cinéma et la science peuvent amener à un questionnement métaphysique : qu’est-ce qui existe vraiment ? Comment le prouver ? Comment trouver notre place dans une nature, un Univers qui nous dépassent ? Ces questions me passionnent et me donnent envie de raconter des personnages obligés de remettre en question leurs croyances pour survivre. Avec la SF, on peut pousser les curseurs de la réalité, changer de regard sur le monde, ouvrir nos perspectives. C’est le sense of wonder qui me plaît, l’envie de raconter des histoires qui émerveillent et qui troublent.
Emilie - Je suis en revanche plus marquée par le Fantastique que la SF, mais je
trouve que les deux genres ont énormément de points communs. Avant tout, il s’agit de questionner nos croyances et nos peurs, et c’est cela qui m’intéresse avant tout dans une histoire. Le Fantastique est un outil puissant pour sonder nos angoisses à un instant donné, qu’il reflète via ses modes, ses codes fluctuants. Il fait appel à un moteur narratif puissant : comment l’esprit réagit face à des événements, des entités, toutes ces choses qu’on n’aurait pas pu imaginer comme possibles l’instant d’avant et qui viennent pourtant envahir notre réalité et s’étaler sous nos yeux. C’est plus qu’un simple instinct de survie face à une situation de danger immédiat, cela nous définit au plus profond de nos êtres. Au fond, le Fantastique, c’est un genre qui parle de nous sans en avoir l’air.
Emilie & Romain - Et à deux, nous nous rejoignons sur l’envie de nous inscrire dans un cinéma qui assume le divertissement et qu’on pourrait qualifier de « grand public ».
Quel conseil donneriez-vous à un.e jeune scénariste ou réalisateur.rice débutant dans le métier ?
Romain - Voir des films, lire des scénarios, tenter le maximum de concours et
résidences. Rencontrer d’autres auteurs via les associations et collectifs, les lire et se faire lire de façon à progresser. Écrire régulièrement, avoir plusieurs projets à différents stades d’avancement. Trouver un travail qui permette de dégager du temps pour écrire et constituer son réseau professionnel. Prendre du temps pour soi. Se rappeler que personne ne nous attend, donc qu’on est libre d’écrire ce qu’on veut. Pour les réalisateur.rice de courts-métrages, réfléchir - en parallèle des projets financés dans le circuit classique (ça peut mettre 4 ans) - à des projets faciles à tourner, pas chers, qui permettent de s’entraîner à la mise en scène et de se donner confiance.
Emilie - Surtout, de garder la foi, car la route est longue et semée d’embûches. De ne pas oublier qu’il sera toujours plus facile pour vos futurs lecteurs de critiquer ce qui ne va pas dans votre travail que de vous soutenir envers et contre tous. Vos premiers “vrais” lecteurs (pas vos amis, donc) seront vraisemblablement réunis dans une commission chargée de décider si vous méritez d’être soutenu, responsabilité écrasante quand on a dû lire 40 dossiers en un mois, en plus de son travail habituel.
Après une heure de débats plus ou moins houleux et 1 litre de café, avouer devant des personnes que vous ne connaissez pas ou peu (et qui souvent ne partagent ni vos goûts ni votre vision du cinéma) que vous avez été touché à la lecture d’un script, ce n’est pas si simple, là aussi ça demande de la foi. Ayez en tête ce lecteur bienveillant et donnez-lui les clés pour vous défendre. Ré-écrivez jusqu’à ce que votre adversaire le plus coriace soit à minima obligé de reconnaître que le projet, bien que très éloigné de son univers, est suffisamment solide pour mériter d’exister en film. Soyez donc exigeant avec vous-même, cela commence par là.